Quand les pirates informatiques deviennent un sujet courant d'actualité







Il y a seulement une quinzaine d'années, on n'aurait jamais cru que les pirates informatiques, dénommés encore "hackers", allaient constituer l'un des sujets d'actualité internationale de prédilection dans les colonnes de la presse généraliste ! Ces derniers n'étaient auparavant qu'un sujet de discussion marginal entre initiés et relevaient, pour le profane, plutôt de la science fiction et de la fantaisie de jeunes en quête de sensations. Comment pouvait-on croire à ces films futuristes où des adolescents derrière leur clavier risquaient de provoquer des catastrophes majeures ou de les empêcher? Pourtant, aujourd'hui, les hackers sont pris très au sérieux : selon les avis, en tant qu'activistes socio-politiques, ou terroristes, ou encore justiciers de l'ombre, sachant que dans les autres cas où ils ne sont pas célèbres mais plus nombreux, ce sont de simples et piètres cyber-voleurs. Mais c'est du premier cas qu'il convient de discuter : qui sont les hackers célèbres qui se font aujourd'hui remarquer et défrayent la chronique, entre célébrité et anonymat, et quelle est leur impact et celui de leurs sympathisants sur la sécurité, l'opinion du grand public, voire même sur la société?




Du point de vue purement pratique et technique


Comme il est de bon ton d'innover dans le vocabulaire, pour aborder le sujet des hackers il sera plus simple de recourir parfois au mot "connectivomanie" durant notre réflexion. En effet, comment décrire en d'autres termes aussi brefs cette obsession moderne revendiquée de la connectivité omniprésente et la croyance en sa nécessité absolue, au point que des infra-structures de type et d'importance sans aucune commune mesure se retrouvent toutes connectées à un même réseau mondial, sous prétexte qu'on met en place des "protections" : Contrôle de systèmes critiques, accès aux informations stratégiques sensibles et aux banques de données sensées être à l'abri de la destruction, mais aussi au contenu payant ou non, destiné à être plus ou moins massivement distribué, ainsi que le transfert de toutes les données possibles entre tous les appareils imaginables, aussi farfelu que ce là puisse paraître. On y rêve déjà pour relancer la croissance : téléphone, chaussures, réfrigérateur, grille pain, silo de lancement de missiles nucléaires, et pourquoi pas WC. (Cherchez l'intrus!). Finalement, Terminator 3 n'est presque plus de la science fiction. Reste à savoir qui mettra au point "SkyNet" (*) qui nous détruira. Les hackers? Ou les connectivomanes eux-mêmes, comme dans le film? Car on peut en effet se poser la question suivante: Qui sont les plus dangereux? Des hackers tels que les "Anonymous", ou les décideurs technophiles candides prêts à tout pour connecter n'importe quoi sur internet, pourvu que çà en jette ou que çà coûte moins cher qu'une liaison spécifique fermée entre les centres informatiques sensibles? Peu de gens y ont réfléchi, mais il faut savoir que plusieurs fois nous avons eu beaucoup de chance que des hackers n'aient pas été si méchants que çà ! En effet, à plusieurs reprises, des virus d'une capacité de propagation spectaculaire se sont répandus dans le monde entier en quelques heures et auraient pu mettre simultanément hors service tous les PC équipés de Windows et simplement connectés à internet, si l'effet de ces virus n'avait pas été une simple farce. Par ailleurs, il existe à présent des virus capables d'exploiter absolument tous les moyens de connexions possibles pour transformer un ordinateur en véritable espion, où qu'il soit : écoute des conversations, ramassage de toutes les données (même depuis les périphériques Bluetooth) et de ce qui est affiché à l'écran. C'est bien beau de jouer à l'hyperconnecté, mais après il ne faut pas se plaindre d'être "fliqué" tel le révolté moyen!



MAL: Nous voulons vous implanter cette puce d'identification (RFID) --> Cela viole mes droits!
BON: Nous voulons vous implanter cette puce d'identification et c'est aussi un téléphone, une caméra numérique et un lecteur MP3 --> COOL!


Mais ceci n'est rien encore, à côté de ce qu'on peut imaginer quand on apprend par exemple que des systèmes de défense sont contaminés par des virus informatiques. Directement connectés ou non, ces systèmes sont développés très souvent sur les mêmes bases que votre simple Windows (parce-que c'est "low cost" et "compétitif") et sont donc infectés par un simple transfert de données depuis n'importe quel support de type courant. Le complexe de supériorité, doublé de l'insouciante sans limites des flambeurs technophiles des grandes puissances peut donc mener très loin. On comprend donc leur logique de fonctionnement quand ils piquent une crise alors que des hackers étalent au grand jour leur faiblesse et les ridiculisent aux yeux du monde entier. A leurs yeux, aucun châtiment n'est assez sévère pour laver un tel affront, et encore plus s'il y a de l'argent et du pouvoir en jeu! Pourtant, que dirait-on d'une caserne militaire où des armes chimiques seraient stockées devant la porte d'entrée avec un écriteau "ne pas prendre, armes chimiques!" assorti d'un petit filet de protection? Ne mettrions nous pas en jeu la responsabilité des militaires dans les attentats terroristes prévisibles? Alors, pourquoi ne fait-on pas de même pour ceux qui ont rendu accessibles par internet des données sensibles dont la divulgation mettent en jeu la vie de compatriotes ou d'alliés? N'avaient-ils pas prévu la pince qui coupe le petit filet?

(*) Terminator 3 : Dans ce film, troisième d'une série de quatre épisodes, on assiste à la prise de contrôle de toutes les systèmes connectés par un logiciel merveilleux multi-usages nommé "SkyNet". Diffusé dans le monde entier en "cloud" à travers internet par ceux qui étaient sensés nous défendre, ce programme déclenche alors les armes nucléaires et pilote les drones de combat afin d'exterminer l'humanité. Comme un film doit être plus impressionnant que la réalité, on présente ce logiciel/virus comme une entité consciente et on ajoute bien entendu le cyborg Schwarzenegger. La réalité serait en effet beaucoup plus simple: les systèmes sans arrêt mis à jour, "enrichis", sous traités, et inutilement complexes sont tout simplement truffés de bugs et font n'importe quoi. Notons toutefois que le résultat final peut être le même.






Où est la limite entre la taquinerie et le crime ?


L'évaluation de la gravité des actions de hackers tels que les "Anonymous" est, comme dans le cas des délits non informatiques, sujette à débat. Et beaucoup ont du mal à placer la limite fatidique à partir de laquelle le crime devient grave. A mon grand étonnement, contrairement à ce qui se passe avec le crime de droit commun où la tendance est au déplacement systématique vers le "ce n'est pas si grave", envers les hackers il en est tout autrement. Récemment, sans mettre aucunement en jeu la sécurité d'un état ni celle d'une seule personne, Aaron Swartz, membre des Anonymous arrêté aux USA, s'est retrouvé sous la menace de 35 ans de prison, soit largement plus que la peine dernièrement infligée en France à des tortionnaires et meurtriers d'enfants, et probablement plus que les peines infligées aux "jeunes" meurtriers des gangs de Miami. Son crime était le suivant : "téléchargement illégal de millions d'articles littéraires et scientifiques hébergés sur un service d'archivage en ligne". Je ne suis peut-être pas normalement constitué, mais il m'apparait que sur une échelle des peines où la barbarie absolue se situe à moins de 30 ans d'emprisonnement, une peine supérieure nécessiterait plus que le téléchargement illégal de l'univers entier, tout au moins si celui-ci était pleinement habité. Et encore, je serais tout de même dégoûté de la comparaison. Quand les uns disent "l'argent mène le monde" et que les croyants disent "nous devenons des adorateurs de Mammon", je comprends à présent pourquoi. Cette soi-disant priorité de la vie humaine affichée par nos démocraties n'est de rigueur que si on ne rigole pas avec l'argent! (Alors qu'il n'est ici qu'hypothétiquement détruit, et même pas volé). Après le suicide désespéré de Swartz, il ne faudra donc pas s'étonner que dans l'esprit de notre jeunesse même civilisée et éduquée, le doute, le relativisme moral et l'aversion systématique contre l'ordre s'installent durablement. Pas plus qu'il ne faudra s'étonner que de plus en plus de jeunes imbibés de "cyberculture" par nos connectivomanes glorifient tous ceux qui se revendiquent de la piraterie informatique et en viennent même à considérer sérieusement l'existence d'une idéologie pirate. Quand l'ordre qui nous régit ne représente plus aucune vraie morale même pour ceux qui en voulaient (et on sait aussi de quoi on parle en ce moment en France), comment pourrions nous justifier le bien fondé d'un pouvoir si relativiste face à ceux qui y sont déjà réfractaires? Comment faire accepter une justice internationale standard (et voulue bientôt mondiale ) si inéquitable comme plus valable qu'une de leurs quelconques idéologies sur mesure?




Comment sont perçus les pirates et leurs adaptes dans la société


Ca non plus, on ne l'aurait pas imaginé il y a quinze ans : le mouvement pirate, le parti politique pirate, et même, la religion pirate. Même si la dernière est une demie blague, en Suède elle est bel et bien enregistrée officiellement. Quant au parti politique, il fait aujourd'hui activement partie de la politique en Allemagne, Suède, Suisse et Espagne. Là, les néo-libéraux patentés sont perplexes car ils doivent s'afficher démocrates et tolérants, mais doivent aussi servir les intérêts des grands groupes mondialistes. Ils sont donc pour l'instant dans l'impasse. Mais revenons à l'essentiel de la question: Les partis pirates influencent-ils la société ou la société a-t-elle produit la mouvance pirate, aussi ridicule qu'elle puisse sembler? J'ai déjà eu probablement beaucoup de mal à cacher que je penche totalement vers la deuxième réponse. Le cadre de départ y est simple: dans notre société la justice est considérée techniquement comme "amorale" par les juristes eux-mêmes alors que l'issue de certains procès choque même le jeune public. Mais on nous y répète chaque jour que de multiples droits nous sont attribués car nous sommes libres. Pour calmer ceux qui tenteraient trop d'étendre leurs droits au détriment de ceux des autres (c'est le problème de ce mode de définition des devoirs respectifs des uns envers les autres), il y a le couple consommation/redistribution qui entre en jeu. Seulement, de nos jours, ce couple ne fonctionne plus bien. Dans un tel contexte, quand les géants de l'industrie du divertissement bombardent leur jeune public de propagande consumériste en vue de l'achat massif de productions prônant presque toutes les perversions (comme ici, , et ) et incitant à une passivité de consommateur de "contenu", et que d'autre part la délocalisation consentie des emplois par l'UE et les USA fait des ravages même chez les diplômés, il ne faut pas s'attendre à ce que ce paradoxe stimulation/limitation, doublé du peu d'estime qu'inspirent les "majors" du multimédia, ait un effet positif sur le respect de leur propriété dite "intellectuelle". Je dirai même que ce qui se passe avec les pirates du téléchargement illégal est ici un moindre mal, au risque de choquer les cadors bien pensants du show-business, tant occupés par leur programme de destruction de l'humanité qui ne leur rapporte pas assez. Dans le futur, question délinquance on pourra s'attendre à pire que le piratage. Et je me permettrai donc de citer et compléter avec joie une phrase que j'avais trop entendue dans un passé proche : "tant qu'ils font çà, non seulement ils ne brûlent pas les voitures, mais en plus ils passent du temps à autre chose que s'imbiber des immondices qu'il leur arrive de pirater!" (même si je suis conscient du fait que nombre d'entre eux doivent être friands de ce genre de "contenu"). Et si j'ai par conséquent franchi encore une fois le politiquement correct, j'en suis satisfait!




Ont-ils des idées définies en dehors du piratage informatiques?


Ce n'est pas parce-que je suis plus indulgent que de rigueur avec les adeptes de l'idéologie pirate que je partage leurs idées. Je ne cherche d'ailleurs pas spécialement à leur plaire et ils n'apprécieraient d'ailleurs sûrement pas mes textes s'ils les lisaient. Même s'ils n'ont probablement pas tous les mêmes idées politiques et sociales, il y a fort à parier, comme on le perçoit par exemple dans les multiples vidéos des Anonymous, que dans la plupart des cas leur relativement jeune âge et leur fierté les incitent à se voir comme des révolutionnaires (plutôt anarchistes et libertaires) d'une nouvelle ère, des justiciers puissants de l'ombre contre tout ordre imposé d'en haut, fut-il même élémentaire. Tout aussi technophiles aveugles que les connectivomanes, ils auraient tendance à être aussi mondialistes à leur manière. Même si je ne les approuve pas du tout, cette fois c'est moi qui me permettrai de dire que la société les a élevés ainsi par l'intermédiaire des médias tous confondus (propagande politique niaise, bulletins d'actualités, et publicité): "Sors du lot, sois orgueilleux, ta valeur est celle de ce que tu possèdes ou contrôles, tu as tous les droits mais finalement pas grand chose à faire dans ce monde à part consommer tant que tu peux encore. Et n'oublie pas que toute cette soupe sordide qu'on te vend se paye, et que ceux qui mènent le monde et créent la richesse sont les multinationales à qui tu dois reconnaissance et soumission dans notre monde destiné à la gouvernance mondiale". On ne s'étonnera donc pas des idées que peuvent revendiquer les pirates et leurs sympathisants, même si dans le cas d'élections locales gagnées comme en Allemagne ils se retrouvent quelque peu contraints d'étoffer leurs programmes sur des aspects plus précis et de façon plus consensuelle. Ils n'ont alors pas forcément des idées géniales mais on ne peut pas dire qu'ils soient plus ridicules que nos pantins actuels qui continuent de crier croissance en prônant le libre échange mondial! Et si le droit au piratage comme idéologie politique nous semble futile bien que populaire, c'est peut-être la preuve qu'en politique contemporaine tout est déjà futile. Le vide a déjà été fait!

Le seul vrai problème causé par le téléchargement illégal de contenus multimédias est qu'il permet une diffusion plus facile auprès du jeune public des productions, entres autres abjectes et nocives, que voudraient vendre ceux qui travaillent à notre destruction. C'est en ce sens qu'il doit être sanctionné avec mesure. Ce qui est reproché au téléchargement illégal est simplement de permettre cette diffusion gratuitement, ce qui est considéré comme plus grave...

Si les géants des industries musicales et du jeu vidéo venaient à faire faillite, ce serait une des rares faillites que je ne regretterais pas.






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