LE NUCLEAIRE - NOTRE AVENIR ?







Combien de cobayes faudra-t-il dans le Monde, ou:
Jusqu'où irons nous pour payer notre électricité moins cher


15 Mars 2011


C'est arrivé. Je ne vous apprendrais rien si je prétendais dévoiler à quel point, ce soir même où je suis en train d'écrire, la situation vécue par les Japonais est dramatique. Après avoir subi de plein fouet une catastrophe majeure que l'homme ne peut hélas éviter, ce peuple est en train d'en vivre une deuxième, plus sournoise, moins violente dans l'instant, mais aux conséquences à long terme aussi désastreuses - et peut-être même plus. Une de ces catastrophes dont on dit qu'elles sont si peu probables qu'elles sont impossibles: l'accident nucléaire majeur. Ce soir je suis certainement très loin d'être le seul à mettre en ligne des commentaires sur ce sujet, et la tragédie a déjà fait l'objet de nombreux débats laissant libre cours à tout un tas d'arguments et de contre arguments plus ou moins bien pesés et plus ou moins pertinents. "Ca n'arrive qu'aux autres", ou "c'est le faute à pas de chance", ou encore "nous avons mieux prévu", sont en substance les principales - mais non les seules - excuses avancées par les fervents défenseurs de l'expansion nucléaire totale face à leurs adversaires, dans le seul pays du Monde où près de 80% de l'énergie électrique est produite par des centrales nucléaires: la France. Car les humains sont peut-être égoïstes, mais en voyant ce qui arrive aux autres on en vient à s'inquiéter plus sérieusement de ce qui pourrait nous arriver. C'est un phénomène naturellement humain. A présent les inquiets sont à nouveaux écoutés. Ici les prétextes invoqués il y a déjà longtemps pour nous rassurer après l'accident de Tchernobyl ne tiennent plus: le Japon a une réputation mondiale de très bon élève en matière de sûreté, de fiabilité, de technologie. On ne peut plus dire que les accidents n'arrivent que dans les vieilles centrales soviétiques et que "chez nous" tout est maitrisé. On ne peut pas dire non plus que nos centrales ne seront jamais exposées à des séismes, car ce serait complètement faux. Certains petits malins pourraient même continuer à être dans l'erreur en prétendant que la combinaison d'un séisme et d'une inondation brutale n'est pas une chose possible en France. En effet, la centrale de Fessenheim en Alsace (France) est non seulement vieille et construite sur une zone sismique, mais en plus située en bordure et en contrebas du grand canal d'Alsace, alors que l'écoulement de ce dernier est régulé par des barrages!

Alors que je prends connaissance, heure après heure, de la tournure des évènements à Fukushima, je me remémore les écrits de l'un de ces illuminés se présentant comme scientifiques (même si leur spécialisation n'a parfois rien à voir avec le sujet) et témoignant d'une foi inébranlable dans la fiabilité absolue des réalisations humaines. La page personnelle du "chercheur" français R.Raynal, à laquelle j'avais souhaité répondre sur une des premières pages de mon site en 2007, représente bien l'état d'esprit de ces cuistres prétentieux dont le mépris de l'idée même de la prudence tend parfois jusqu'à la psychopathie. Dans ma réponse j'avais même repris une de ses présomptions qui m'avait amené à imaginer comment peut se débrouiller un pays dont une région toute entière se retrouve contaminée du jour au lendemain. R.Raynal n'est qu'un petit exemple parmi tant d'autres. Il m'est venu à l'esprit parce-que je le connais. Mais à ce titre on peut citer des cas plus impressionnants: l'AIEA et même l'OMS continuent jusqu'à aujourd'hui de tenter de minimiser outrageusement les statistiques de mortalité de l'accident de Tchernobyl, probablement pour nous calmer parce-que c'est bon pour nous... Aussi, nombreux sont les gens comme vous et moi, les "monsieurs-tout-le-monde", à être partagés entre l'idée que les spécialistes sont capables de juger mieux que nous de la sûreté des technologies, et l'idée qu'il est surprenant de penser qu'on puisse être à la fois savant et inconscient.

Comment peut-on être savant et inconscient ?


Certes chacun se doute que l'inconscience résulte principalement d'une confiance excessive en soi-même. Mais ceci n'est que le facteur humain. La particularité de la situation du scientifique est qu'il détient des connaissances et des outils permettant de démontrer par une méthode réputée implacable que quelque chose est certain ou impossible. Il ne s'agit pas ici de mettre en cause les méthodes elles-mêmes qui sont utilisées dans de nombreux domaines afin d'évaluer les probabilités de défaillance de composants critiques. Il s'agit de remettre en cause l'idée qu'on puisse se contenter de ces méthodes pour juger de tous les types de situations et de dangers, et principalement sur les processus à très long terme. Le 25 mars 2003, Roger Belbéoch écrivait à juste titre: "C'est l'approche probabiliste qu'il faut refuser en bloc car elle n'a pas de sens". En effet, il faut bien avoir conscience qu'on va s'attaquer à un état d'esprit plus qu'à des calculs. Il ne s'agit de rien d'autre!

Quelques notions de fiabilité prévisionnelle


C'est le moment d'aborder très brièvement et sommairement les théories de la fiabilité prévisionnelle et de la sûreté de fonctionnement. Dans le domaine de l'industrie et de la sécurité, il est nécessaire d'évaluer que la probabilité de défaillance d'un élément critique est suffisamment faible pour considérer que la panne n'arrivera presque jamais. Il s'agit bel et bien d'un "presque jamais", souvent exprimé en "ppm", unité résultant de l'abréviation de l'Anglais "part per million", si bien que 1ppm signifie "1 fois sur 1 million". Le seuil acceptable pour ce "presque jamais" s'ajuste selon la gravité de l'incident. Il peut décrire le nombre d'appareils tombant en panne au cours de la période d'utilisation envisagée, pour un million d'appareils fabriqués. Il s'agit alors directement de "ppm" pour une durée de vie définie. Il peut décrire aussi, complémentairement, la durée de vie réelle moyenne des appareils (devant être largement supérieure à la période d'utilisation prévue). Pour un taux de défaillance exprimé en "ppm", on considérera par exemple, lors de pannes ne mettant pas en danger la vie d'une personne, qu'une cinquantaine de ppm est admise, voire beaucoup plus. Et ceci n'est bien sûr pas choquant. Cependant, pour les défaillances à conséquences plus dangereuses, le concepteur est plutôt confronté à la comparaison raisonnable et justifiée des effets d'une défaillance de son produit avec des évènements "naturels" inévitables de gravités similaires. C'est lorsque le risque induit par l'équipement devient négligeable par rapport aux autres risques environnants inévitables qu'on peut considérer qu'il est acceptable. Jusqu'ici, même si c'est implacablement pragmatique, c'est réaliste et honnête.

La fiabilité de l'équipement est une chose. Mais le reste ?


Ici nous aborderons un aspect déjà plus tendancieux du problème. Le fournisseur d'un équipement engage sa responsabilité quant au taux de défaillance de son produit, en prenant en compte les contraintes définies par son client. Ces contraintes sont les conditions de fonctionnement, les stress éventuels auxquels le produit pourrait être involontairement soumis, l'environnement dans lequel il fonctionne, etc... Tout ceci, le fournisseur le garantit. Tout ceci, mais pas plus. Il est hors de question de s'imaginer que si les contraintes réelles exercées sur l'équipement dépassent celles spécifiées par le client, le fournisseur puisse être tenu responsable de quelque catastrophe. Oui, c'est parfaitement logique. Mais les problèmes peuvent commencer lorsque:

- Le client ou le donneur d'ordre n'a pas les compétences requises, ou pire, néglige les risques potentiels

- Le client demande à son fournisseur de définir lui-même les contraintes.
   C'est une aubaine pour se dernier qui s'engagera le moins possible (dans la limite du "pas trop gros").

Transposons à présent tout ceci dans un contexte où la défaillance engendre des effets comparables à ceux d'un cataclisme majeur, provoquant le décès de bien plus qu'une seule personne et induisant des répercussions à très long terme sur tout un territoire, ce que même une catastrophe naturelle de grande envergure ne peut causer. Transposons tout ceci à un processus maintenu en fonctionnement pendant une durée illimitée - même si l'équipement est intégralement remplacé et/ou déplacé tous les trente ans - alors que les facteurs extérieurs peuvent avoir autant d'effet que d'éventuels défauts propres aux équipements. Et enfin, transposons ceci à un équipement de dimensions considérables, particulièrement sensible à l'environnement extérieur, accessible, et qui présentera encore des risques même bien après sa durée d'utilisation. Je vous présente... la centrale nucléaire. Et je n'ai pas encore abordé les sites de stockage de déchets qui vont croissant au fur et à mesure que le processus illimité perdure, et qui peuvent être eux aussi sujets à défaillances, induites ou non par des facteurs extérieurs. Ce dernier aspect du problème - les sites de stockage de déchets - constitue là aussi une préoccupation puisque les lieux à risques vont se multiplier régulièrement, multipliant par le même occasion la probabilité qu'un séisme ou une innondation touche l'un d'eux. Ceci signifie que même si le nombre de centrales nucléaires n'augmente plus, les probabilités de catastrophes continueront d'augmenter. Mais tout ceci ne fait pas partie des soucis de nos brillantes élites pro-nucléaires, qui par ailleurs prétendent connaitre parfaitement les conséquences biologiques des différents types de radiations alors qu'il n'en est rien. Les docteurs en physique nucléaire ne connaissent pas plus la biologie que vous et moi. Que ce soit clair. Les hommes politiques ne l'ont pas encore compris.

Des morts ? Il y en a toujours, voyons !


Parfois certains descendent très bas lorsqu'il s'agit de convaincre de la non dangerosité du nucléaire. Le charbon fait des morts durant son extraction, et le pétrole provoque des guerres... donc le nucléaire tue moins! Et hop! Le pétrole pollue quand on le jette dans la mer, ça c'est sûr... mais les déchets radioactifs peuvent y être jetés? Ce sont les dernières démonstrations éclatantes qui nous dissuaderont de réduire le nombre de nos centrales nucléaires, et qui nous motiveront même pour en construire d'autres. C'est étrange, mais les mines d'uranium en Afrique, sans accidents, sans contamination, je n'en trouve pas! Par exemple on peut noter que, si on se réfère au terrible taux de mortalité parmi les mineurs des mines de Kerr McGee dans les années 50-60 dont les conditions de travail étaient probablement meilleures que celles des Nigériens sur les sites COGEMA, nous avons signé sans scrupules l'arrêt de mort de milliers de Nigériens dans les années à venir. (Après cela, ceci ne nous empêchera pas de crier noblement au scandale raciste si un journaliste français pète de travers ou si une députée isolée veut expulser de France des immigrés illégaux arrivés massivement). Ce génocide est le prix à payer pour prétendre que le nucléaire assure notre indépendance énergétique. En réalité notre dépendance est de 100%. Tout l'uranium vient à présent de mines situées en Afrique et exploitées dans des conditions très obscures, souvent sujettes à des attaques armées par la même occasion. Ainsi, si on joue au même jeu de comparaisons malhonnêtes que nos défenseurs prétentieux du nucléaire, on peut arriver encore à gagner le débat... Mais en pratiquant la cynique comparaison du nombre de morts par an sur une période de mille ans - la référence en matière de sûreté nucléaire - ils trouveraient encore le moyen de conclure que dans mille ans il y aura encore des être vivants en continuant ainsi, et que donc le résultat sera meilleur que celui estimé avec les morts par pollutions d'autres natures. Comme si la majorité de la pollution atmosphérique provenait de la production d'électricité! La part due à cette dernière ne représente que 35% de la pollution atmosphérique totale, avant même d'avoir pratiqué quelque effort que ce soit. Par ailleurs, pour revenir à l'impact des centrales à énergies fossiles sur la santé des populations, on prend toujours comme exemple le charbon, alors que le gaz naturel est aussi une solution très utilisée dans d'autres pays. Ca ne génère aucune particule polluante. Bien sûr, c'est plus cher...

Les énergies renouvelables et le gaz, c'est cher! Vous n'y pensez pas!


Pour ceux qui résistaient encore, c'est l'argument final du nucléophile: en France nous payons - plus pour longtemps - notre électricité 40% en dessous de la moyenne. Vous voyez donc bien qu'on ne peut pas faire autrement! La corde sensible du "pouvoir d'achat" est ainsi titillée, et bon nombre de nucléosceptiques vont alors craquer: Ma facture va augmenter de 40%? Comment vais-je faire? La vie va s'arrêter! Qui est encore volontaire? Attention, on vous annoncera bientôt que sans les centrales nucléaires vous ne pourrez plus charger votre i-Phone en rentrant chez vous le soir, et là, ce sera le désarroi! Evidemment personne n'a calculé le prix de revient réel de l'énergie nucléaire en prévoyant au budget la gestion des sites de stockage de déchets pendant les mille années à venir. C'est un peu la même idée que le déficit de la caisse de retraite française depuis les années 80, mais sur une autre échelle... Mais plus sérieusement, avec tout ce qu'on entend, finalement est-ce possible de produire une partie significative de notre électricité au moyen des "énergies renouvelables"? (Solaire, éolien, géothermique, etc...). Personne n'avance de justifications, ni même des calculs simples. Le champ reste donc toujours libre à qui souhaite raconter n'importe quoi.

Les énergies renouvelables ont leurs limites, mais quand on ne veut pas on ne peut pas...


Comme de plus en plus de personnes le savent, l'inconvénient majeur du solaire et de l'éolien sont leur soumission aux caprices du climat. Comme il est impossible de stocker massivement l'énergie produite, il est nécessaire d'utiliser en complément des modes de productions rapidement ajustables selon l'énergie disponible et la demande. En dehors des centrales au charbon et de celles au fioul, les centrales au gaz naturel ont aussi cette particularité. Les grands projets de gazoducs Est-Ouest sont une opportunité idéale dans le cas de cette hypothèse. Seulement voilà: les écologistes eux-mêmes se sont jetés tête baissée dans le filet. Plus personne n'osera avouer qu'il faut assurer une partie de la production d'électricité par des moyens générant du CO2, ce pauvre CO2. Le dialogue de sourds n'a donc pas fini de se répéter. Les centrales nucléaires ne peuvent pas ajuster facilement leur puissance - sous peine de gaspillage inutile - et ne peuvent donc pas jouer le rôle de tampon dans le cas d'un emploi massif de centrales à énergies renouvelables. C'est donc l'occasion pour les partisants du tout nucléaire pour affirmer que les énergies renouvelables sont inutiles et apportent des problèmes supplémentaires. A cette affirmation viendra la réponse évasive d'un écologiste qui n'osera pas dire que ces centrales s'utilisent en complément d'énergies fossiles exploitées raisonnablement, minimisées au fur et à mesure de la croissance du parc éolien et/ou solaire thermique(*), quitte à ce que ce parc soit surdimensionné pour assurer la plus grosse part de la demande dans tous les cas. L'accumulation partielle de l'énergie peut aussi être assurée en complément, grâce à des bassins de stockage hydrauliques, ou dans le futur par méga-piles à hydrogènes, bien que cette dernière méthode apparaisse aujourd'hui encore comme futuriste, étant données les capacités de stockage à assurer.

(*) Le solaire photovoltaïque n'est pas une solution sérieuse, sauf pour usage restreint chez les particuliers.


Alors? La transition ?


La transition ne peut se faire que progressivement. C'est le seul point sur lequel presque tout le monde est d'accord. Il faudrait au moins 20 ans, et il ne servirait à rien d'arrêter en cours de route des centrales nucléaires pleines de combustible actif. (Quoique celle de Fessenheim...). Le problème est qu'on prétend préparer cette transition alors qu'il n'en est rien. Le seul objectif est de préparer déjà les remplaçantes de nos centrales nucléaires actuelles, et de ne surtout rien préparer d'autre. Les énergies renouvelables ne sont pas pour demain. Ca, tout le monde le sait. Ce qu'on sait moins, c'est que l'on fait tout pour qu'elles soient pour... jamais! Tout n'est que de la "communication", en bref "de la pub" pour nous faire croire à des nouveaux emplois en perspective. Souhaiter maintenir 80% de production nucléaire, c'est souhaiter implicitement ne pas recourir du tout à des énergies renouvelables. Maintenant vous savez pourquoi. Vous savez aussi pourquoi 99% du budget français de recherche sur la production d'énergie est alloué au nucléaire.

A titre de comparaison:

Vous pourrez voir que dans le monde des millions de gens peuvent rentrer chez eux, allumer la télévision et charger leur i-Phone sans utiliser d'électricité produite à 80% par des centrales nucléaires:

MONDE en 2007:

énergie nucléaire: 14%
énergie hydraulique: 16%
énergie thermique: 68%
énergies renouvelables hors hydraulique: 3%

FRANCE en 2008:

418,6 TWh nucléaires 76,2%
63,4 TWh hydrauliques 12,4%
58,4 TWh thermiques 10,4%
4,1 TWh renouvalables hors hydraulique 1%

Pour prendre l'exemple de la Russie considérée par les occidentaux comme un pays où la "culture du nucléaire" est intense, la part d'électricité nucléaire n'est que de 13%.

Mais en France, nous faisons des "Grenelle de l'environement"(*), alors nous sommes les meilleurs...

(*) Ensemble de rencontres politiques organisées en France en octobre 2007, visant à prendre des décisions à long terme en matière d'environnement et de développement durable. C'était une opération publicitaire majeure du parti au pouvoir français.

Pourtant, il faut bien garder à l'esprit que la crainte de l'exploitation nucléaire massive va bien plus loin que la simple écologie. ce n'est pas une "philosophie des petits oiseaux". C'est l'instinct de survie après la prise de conscience.

Le digestif pour la fin...


Je vous ai réservé deux citations. Ce sont des déclarations de l'Inspecteur Général pour la Sûreté et la Sécurité Nucléaire. Direction Générale d'EDF (Electricité De France - Montauban, janvier 1988) - France

"Nous faisons tout ce que nous pouvons pour prévenir l'accident grave, nous espérons ne pas en avoir, mais nous ne pouvons pas garantir qu'il ne se produira pas. On ne peut exclure que dans les dix ou vingt ans à venir un accident civil grave se produise dans l'une de nos installations".

"(...) s'il doit se produire un accident, ce sera celui que nous n'aurons pas prévu".

Dormez bien!




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