L'enseignement serait notre dernière chance ?



Presque tout le monde le dit, et pourtant...





Tout le monde admet que l'éducation conditionne le futur de la société. Presque tout le monde admet qu'actuellement l'éducation va mal. Le problème du pourquoi et du comment se pose encore une fois, et là encore, il semble que les gens qui parlent à la télévision ne vivent pas dans le même pays que nous. Voici encore un mystère qu'il sera bon d'eclaircir ! Que manque-t-il à l'enseignement français sensé sauver notre compétitivité en nous abreuvant de science ?

Tout d'abord, la façon dont sont identifiés les problèmes est encore liée inévitablement aux idées, voire les idéologies politiques. Mais le plus surpenant est que lorsqu'un même problème est identifié par deux intervenants de tendances différentes, c'est près de la fin, à la conclusion, qu'on a l'impression qu'il ne sera décidément jamais possible de s'entendre.




La situation plus concrète


L'école serait, selon le dire des jeunes révoltés, une escroquerie qui n'offre rien à l'arrivée. Elle serait, selon les enseignants, une institution mise en péril par le manque de professeurs. Selon les gouvernements qui se sont succédés, quand ils étaient au pouvoir (ou le sont encore) l'enseignement était soi-disant l'objet de toutes les attentions et de toutes les réformes possibles et imaginables. Enfin, selon les nostalgiques de la théorie de la lutte des classes, des zones entières du pays sont délibérément défavorisées pour limiter l'accès des plus pauvres à l'enseignement de qualité. On peut dire que chacun a fait travailler son imagination avec talent pour convaincre les foules de l'efficacité de ses solutions.

Ce qui me laisse pantois, c'est de constater la réalité pratique des choses, comme ont pu le faire tous ceux qui ont au moins 40 ans et qui ont pu ainsi évaluer la régression régulière du niveau requis à un nombre d'années d'études égal. Ceci peut se faire très facilement en discutant avec des plus jeunes qui ont suivi la même filière que soi, puis en suivant les études de ses propres enfants. Le nier est de la mauvaise foi pure et simple. Depuis maintenant 30 ans:

- Le niveau requis pour l'obtention d'une même qualification a été drastiquement abaissé, années après années.
- Pour obtenir une situation professionnelle identique, le nombre d'années d'études requis est monté en flèche.

Certes, peut-être même que la tendance s'était légèrement amorcée avant les années 80, mais pas dans une proportion aussi grande que durant les 30 dernières années. Comment nos magiciens de la solution idéologico-miraculeuse peuvent-ils expliquer celà ? Procédons au raisonnement par l'absurde, à titre de révision:

- Devenons nous naturellement plus bêtes de génération en génération ? Je pense que personne n'acceptera cette explication.
- Y a-t-il des programmes d'enseignement officiellement allégés dans les zones dites défavorisées ? On le surait déjà.
. De plus, le phénomène est général, même si des écarts constants existent. (Nous y reviendrons).
- Y a-t-il plus d'élèves par classe qu'en 1980 et avant ? Non, entre 25 et 35, comme je l'ai toujours vécu.
- Des entreprises ou administrations ont-elles signalé que les niveaux d'éducation étaient trop élevés ? Je vous laisse répondre.
- Y a-t-il un programme secret pour nous rendre tous ignares ? Tous les gouvernements depuis 1980 l'appliqueraient donc...

Rien de bien convaincant. Mais quelles sont donc les possibilités sérieuses (ou pseudo-sérieuses) restantes ?

1) N'y aurait-il pas d'intérêt pour l'Etat à laisser plus longtemps des demandeurs d'emploi potentiels à la charge de leurs parents ?

2) La délocalisation des postes à faibles qualifications (en priorité) de donnerait-elle pas l'impression qu'il suffit de donner un diplôme en chocolat à chacun pour résoudre le problème ?

3) La suppression de toute sélection relative au niveau ne pourrait-elle pas être fallacieusement interprétée comme une action de bienfaisance sociale par les Bisounours égalitaristes bâtisseurs d'un monde meilleur ? (Apparemment ça ne fonctionne pas bien)

C'est étrange, mais je suis plus convaincu par ces trois dernières suppositions, aussi stupides soient-elles. En effet, j'ai cherché longtemps en vain pour en trouver d'autres. La première parait être aujourd'hui prépondérante. La seconde l'a probablement précédée de peu mais ne peut pas suffire à elle seule. Il s'agit plus d'une excuse. Quant à la dernière, elle nous vient droit des années 80 où il était de bon ton de raisonner ainsi. En effet, encore peu avant cette période c'était normal de considérer qu'un élève qui n'avait pas un niveau correct, même après des redoublements successifs, ne prolongerait pas ses études et ne serait pas diplômé. (Ce n'était d'ailleurs pas pour ça qu'il en mourait, il n'était pas forcément condamné à la pauvreté). Rappelons que le but d'un diplôme est d'attester un niveau de formation. Enfoncer les portes ouvertes est parfois nécessaire. Aujourd'hui, jusque dans les pensées, raisonner ainsi est devenu un acte moralement répréhensible apparenté à je ne sais quel comportement aristocratique. En effet, on aime à se persuader que notre époque est sur ce point comparable au 19e siècle où ceux qui étaient socialement défavorisés n'avaient pas accès aux études et étaient donc condamnés à rester dans leur situation, génération après génération. Nos Bisounours égalitaristes ont peut-être oublié que depuis 1882 la scolarisation est devenue obligatoire et prise en charge par l'Etat. Pratiquement 100 ans ont donc contribué, sur plusieurs générations, à effacer du mieux possible les injustices précédentes jusqu'aux années 80, en ne pratiquant non pas une sélection par l'argent, mais tant que possible par le mérite des élèves. Car il est inutile de dire que Jules Ferry, dont nos Bisounours égalitaristes ne se souviennent que lorsque ça les arrange, n'aurait certainement pas approuvé toutes ces idées mièvres dont on nous gave depuis les années 80 et encore plus maintenant. C'est d'ailleurs drôle de retrouver les écrits des ancêtres de nos chers militants actuels et de confronter le tout. Il y a eu comme une mutation sévère dans le temps...

Ainsi, une logique peut s'établir et tout expliquer. En ajoutant à cela la mode qui s'est propagée dans les entreprises dans les années 90 où il a fallu subitement des BAC+5 à chaque poste à responsabilités, tout se tient et va de concert pour programmer:

- Un allongement de la durée moyenne des études nécessaire pour chaque situation professionnelle donnée.
- L'abaissement du niveau de chaque diplôme au niveau précédent de celui qui lui était inférieur.
(Le BAC+2 au niveau de l'ancien BAC, le BAC au niveau du BEPC, les diplômes professionnels courts à des niveaux si bas qu'ils n'existaient pas avant)

Le tour de passe-passe est gagné. Reste le problème de répercussions jusqu'au niveau des lycées et collèges. En effet, pour que la progression soit homogène et pour qu'on "produise" (sic) des bacheliers en quantité suffisante, il faut reporter la baisse de niveau sur toute la chaîne, pratiquement depuis le cours préparatoire. Disons plus raisonnablement que l'effet commence à se sentir sérieusement à partir du CM1. Au delà de la sixième il est déjà consternant.

Mais le pire est que même le programme scolaire allégé, aussi dégarni soit-il, devient maintenant rarement suivi et maîtrisé, avec bien sûr comme prétexte invariable le besoin de réduction du nombre d'élèves par classe, qui n'a pourtant pas augmenté depuis 1980. On concluera sûrement bientôt qu'il faille encore l'alléger. C'est probablement ce que fera le prochain gouvernement, de droite ou de gauche, afin d'éviter de reconnaitre l'échec cuisant de 30 ans d'auto-destruction du niveau culturel du pays. (Remarquons que bon nombre d'initiés à la question, même farouchement opposés à mon raisonnement, admettront qu'il y a 50 ans d'inertie pour construire ou détruire une société par l'éducation ou le manque d'éducation).

En effet, cette autodestruction repose sur le maintien d'un taux hors normes de cancres "au chaud", empêchant toute progression des classes d'élèves normaux qui ne font pas l'objet d'un suivi extra-scolaire, avec pour seule issue l'échappatoire vers l'école privée. C'est là la pire hypocrisie: Sous prétexte de lutter contre la pénalisation des classes défavorisées, on va rétablir petit à petit la situation en vigueur au 19e siècle où seuls les élèves issus de familles suffisamment aisées pourront avoir accès à des études dignes de ce nom.

Nos Bisounours égalitaristes, nos suiveurs d'opinions, et nos réformeurs du gouvernement foncent tous tête baissée vers la même issue, en prétendant chacun que c'est l'autre qui a tort. Est-il déjà si tard pour qu'on ne puisse plus s'apercevoir de l'évidence ? Est-il déjà si tard pour qu'on ne puisse plus se souvenir qu'un jour un diplôme représentait quelque chose ? En fait, oui, c'est trop tard, car on serait forcé d'admettre que 30% des élèves de l'enseignement supérieur (voire même des lycées) n'y ont pas leur place, alors que nous n'avons absolument aucun avenir à leur proposer à des qualifications plus basses, dans un pays où l'industrie et les activités qui en sont dépendantes disparaissent à vue d'oeil, chaque jour. C'est donc plus "vendeur" de continuer à tricher, et de s'étonner que même avec des diplômes on ne trouve plus de travail. Mais ceci n'est pas le pire; c'est juste accélérer la marche de la mondialisation car les emplois qualifiés commencent aussi à se délocaliser. Le pire est qu'aujourd'hui un jeune responsable ne pouvant se permettre de rester financièrement dépendant au delà du BAC ou BAC+2 n'obtiendra jamais la situation professionnelle qu'on pouvait avoir avec ces niveaux d'études il y a seulement 15 ans. On est en train de ruiner l'avenir des jeunes qui veulent travailler sous prétexte de garder au chaud des cancres et des révoltés de base, afin de ne pas avouer que si la sélection était la même qu'il y a 30 ans, le taux d'échec scolaire serait catastrophique. Quelles que soient les justifications à ces actes: économiques à court terme, égalitaristes, démagogiques, elles sont toutes écoeurantes, y compris lorsque des enseignants eux-mêmes continuent de cautionner cette pratique en prétendant que la réduction du nombre d'élèves par classe est la solution. C'est tout l'ensemble de la population scolaire française qui est actuellement gagnée par la passivité, se laissant absorber par cette ambiance générale d'apathie (doublée même parfois d'insécurité) qui règne dans l'enseignement public. Ils comprennent d'ailleurs déjà que rien ne les attend à la sortie, ce qui les motivera encore moins à mériter un diplôme qui n'aura plus aucune valeur.




L'obstination des gouvernements depuis 30 ans


Encore une fois, pour ne pas déroger à la règle, l'éducation est encore un domaine où on va droit dans le mur en fermant les yeux. C'est la même politique de l'autruche qu'avec le libre échange mondial. Fermons les yeux, appuyons sur l'accélérateur, et attendons que ça se passe...

Et là aussi, quels que soient les grands partis susceptibles d'arriver au pouvoir aux prochaines élections, on ne peut compter que sur du cinéma, des pseudo-réformes, des va-et-vient, rien de concret ni d'honnête. Autant on ose encore parfois timidement remettre en cause le libre échange mondial, autant il est impensable à notre époque qu'un parti propose dans son programme une sévérisation des critères de niveau pour les diplômes scolaires. Il serait irrémédiablement relégué au rang de parti dangereux. Donc il ne nous reste plus qu'à nous résigner. C'est notre destin.




En conclusion


Y a-t-il vraiment une conclusion à faire ? Comment imaginer notre futur en combinant mondialisation et niveau d'éducation affaibli pour 80% de la population née uniquement pour consommer ?

Une minorité d'élites superviserait les affaires du pays et ferait "tourner" ce qui a encore besoin de rester actif pour assurer nos rentrées de produits de consommation courante ainsi que leur distribution. Une autre partie de cette élite assurerait la conception et les exportations d'armement et de nucléaire (car nous n'avons pas de pétrole, et nous délocaliserons bientôt l'industrie pharmaceutique et l'automobile). Il y aurait encore quelques fonctionnaires, selon les moyens financiers restants. Et le reste de la population sera au bord de l'analphabétisme, complètement hors circuit. Inutile de dire qu'on ne voit pas comment son niveau de vie pourrait être satisfaisant. Quel serait son avenir ? Que chacun essaye d'imaginer...

En fait, concrètement il est impossible d'arriver jusqu'à ce stade ultime. Il y aura donc à un moment donné un gigantesque clash qui se produira avant. Là aussi, la forme et les conséquences de ce clash peuvent être imaginées de mille façons. Mais une chose est sûre: nos dirigeants pensent qu'il se produira après qu'ils aient quitté ce monde. Pour ma part, je n'en suis pas sûr du tout.




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