"APRES LA DEMOCRATIE" PAR EMMANUEL TODD

Ou: La première fois que quelqu'un arrive exactement aux mêmes conclusions que les miennes,
tout en ayant une orientation politique radicalement différente de la mienne.
C'est peut-être un signe...






LE SUJET


Derrière ce titre accrocheur (voire "provoc", comme il est bon de dire) se dissimule le véritable sujet: l'obstination à ne pas recourir au protectionisme nous mènera-t-elle inéluctablement vers un régime dictatorial par la force des choses ? Si on se concentre sur la moitié intéressante de l'ouvrage, autrement dit celle où la réflexion porte sur les vrais problèmes et non sur la haine personnelle que l'auteur voue à un certain Sarkozy, on est forcé d'admettre la parfaite logique du raisonnement: Le maintien du libre échange dans les conditions actuelles mènera premièrement à l'une de ces deux possibilités:
Côté gauche contemporaine et centre, à la ruine de l'Etat (et j'ajouterai: à la disparition totale des entreprises). Et côté droite, à la suppression de pratiquement toutes les protections sociales pour rééquilibrer les baisses de cotisations et ajuster le coût du travail. Trop évident donc réducteur ? Arguments à l'appui, l'auteur montre que ce raisonnement, simplifié ici dans le but d'un résumé, n'est pas naif comme beaucoup le prétendent. Ainsi l'une où l'autre de ces conséquences mènera inéluctablement à un régime dictatorial, seul capable de maintenir l'ordre et d'imposer des changements radicaux par la force. Ceci quelle que soit l'orientation politique de ce pouvoir. En effet, à ce stade avancé, maintenir le libre échange ou le supprimer nécessitera de maintenir pendant plusieurs années la population dans des conditions de vie plus qu'austères, dans un pays ou jadis l'assistanat et l'approvisionnement en produits de première nécessité était considéré comme un dû qu'on ne pouvait être remis en question. (Notons que dans le cas d'un maintien du libre échange cette période pourrait durer cinquante ans, alors que dans l'autre cas elle pourrait ne durer que cinq à dix ans, le temps de reconstruire une économie locale). Bref, cet ouvrage a le mérite de sortir les têtes d'autruches du sable en démontrant à tous les insouciants de gauche comme de droite qu'on ne pourra pas continuer à faire semblant de faire fonctionner un compromis entre la social-démocratie et le libre échange non restreint. Espérons qu'il fera réfléchir les hypocrites qui prétendent faire preuve d'altruisme en exigeant le maintien de nos acquis sociaux tout en voulant continuer à acheter la quasi-totalité de leurs biens là où les salariés ne coûtent rien, sous prétexte de maintenir leur pouvoir d'achat national.

Pour nous rassurer un peu, tout de même, E.Todd tente de nous prouver que si cette menace du libre échange non restreint disparaissait l'avenir pourrait s'aborder plutôt sereinement, particulièrement en ce qui concerne le dit choc des civilisations. Comme je veux m'endormir ce soir je vais espérer que sa démonstration avec références historiques à l'appui se vérifiera !




LES EFFETS SECONDAIRES DU LIBRE ECHANGE


Autres aspects intéressants et qui, je l'espère, en convaincront plus d'un parmi les idéalistes de la mondialisation. L'ouvrage démontre par la même occasion comment le libre échange non restreint induit la xénopohobie alors que beaucoup prétendent le contraire. Voilà un beau pavé jeté dans la marre de ceux qui prétendent nous soumettre à la punition expiatoire suprême réservée aux anciens dominateurs du monde par la mise en place d'un système qui nous transformera cette fois réellement en esclavagistes désoeuvrés. Par l'analyse de l'histoire des sociétés qui ont formé les nations actuelles, l'auteur montre aussi, en marge du sujet principal, comment les populations de différentes régions ou pays sont amenées à avoir telle ou telle autre tradition politique. A cette occasion il traîte du cas de la France pour tenter d'expliquer la perception actuelle des choses par l'ensemble des citoyens.




LES LECTEURS INTERESSES


Une assez bonne partie du livre peut avoir tendance à agacer les lecteurs comme moi, tant E.Todd s'attarde en pourfendeur du régime actuel (dont il admet pourtant avec justesse que celui-ci est insignifiant par rapport aux vrais problèmes que nous connaissons). On ne comptera pas le nombre d'allusions quant au vilain régime de droite persécutant les démunis et les immigrés (et je vous redéballe le test ADN qui prouve une attache familiale quand aucune pièce officielle ne peut l'attester, comme si c'était une pratique digne du troisième Reich... Bref, du grand cinéma à partir d'un non-évènement). On notera aussi au passage cette façon de considérer la classe moyenne presque comme une classe qui se serait imposée jusqu'alors comme dominante par l'accès exclusif à l'éducation, à la façon d'une nouvelle aristocratie qui aurait empêché les autres de faire partie de son monde. Prolongeant cette idée, il compare la part des non diplômés d'aujourd'hui aux populations autrefois privées d'éducation par manque de justice sociale, ce que j'ai ici considéré comme un manque d'expérience de "terrain" cuisant peut-être du à trop d'influences idéologiques. Comme il l'admet sans ambuguité, notre E.Todd est orienté à gauche mais il accepte cependant de réfléchir objectivement quand il écrit à propos de choses sérieuses. C'est là qu'il retrouve tout son intérêt. C'est pourquoi non seulement je le conseille tout de même aux lecteurs de droite après cet avertissement, mais aussi puis-je le recommander très facilement aux lecteurs de gauche qui ne pourront ainsi en aucun cas accuser E.Todd de nationalisme déplacé à tendance xénophobe ! Je pense qu'il sera capable d'ouvrir les yeux de nombreux dormeurs de toutes tendances !




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